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Qui A Tué Roland Barthes?

01 L-Binet 7eme fonction du langage

Le point de départ du dernier roman « La septième fonction du langage » de Laurent Binet est la mort de Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie, le 25 février 1980. L’auteur part du postulat suivant : il s’agit d’un assassinat dont le coupable évoluerait dans les milieux intellectuels et politiques de l’époque. Il va alors déployer le récit d’une enquête policière, un réjouissant thriller, déjanté et très intelligent qui se moque de tout, surtout des vanités et des impostures.

L’histoire se concentre autour d’un document – la septième fonction du langage -,  prétendument détenu par Roland Barthes et disparu après son accident, qui serait capable de donner à son détenteur un pouvoir insurpassable : la maîtrise du discours, faculté permettant à celui qui la domine de prendre l’ascendant sur son interlocuteur… et sur le monde.  Un an avant l’élection présidentielle de 1981, mettre la main sur cette formidable arme linguistique ne peut qu’intéresser les giscardiens, les mitterrandistes et les diverses factions politiques de tous les mouvements libéro-capitalistes d’un côté et socialo-communistes nationaux et internationaux de l’autre.

Le lecteur est alors projeté dans un tourbillon d’actions et de contre actions, et se promène dans le petit monde de l’intelligentsia des années 80. Il y côtoie Philippe Sollers, bouffon cocasse, Julia Kristeva, sacrificatrice aux yeux noirs, Louis Althusser et son épouse jusqu’à ce qu’il la tue, mais aussi BHL (« Le lecteur, glisse Laurent Binet, s’étonnera peut-être de la présence de BHL mais déjà à cette époque, il est dans tous les bons coups »), Gilles Deleuze, le sémillant sémiologue, Jacques Derrida qui fait cavalier seul, Umberto Ecco, grand ordonnateur de débats rhétoriques, Michel Foucault, amoureux fragmentaire… rien que du beau linge !

Le commissaire Jacques Bayard et le sémiologue Simon Herzog vont donc mener l’enquête parmi la crème de ce milieu intellectuel français, microcosme allumé des structuralistes en pleine déconfiture, et finir par découvrir l’existence du Logos Club, société secrète (où s’affrontent les aficionados des lettres), dotée d’une hiérarchie bien huilée pour un enjeu de taille : se hisser vers les sommets.

« La septième fonction du langage » est un livre jubilatoire, audacieux et didactique. Il rengorge à la fois de détails qui le replacent parfaitement dans la période des années 80 et d’éléments intelligibles et accessibles sur la sémiologie.

Quant au style et à la tonalité de l’ouvrage, ils tirent leur performance d’un bel équilibre entre drôlerie et nostalgie.

On aime aussi la mise en abîme du personnage et la démarche métadiscursive adoptée peu à peu par Laurent Binet. Effectivement, en résonnance à l’intrigue, le texte s’interroge sur sa propre nature. Le personnage de Simon Herzog finira par se questionner sur lui-même et se battre contre son auteur : se trouve-t-il dans la vraie vie ou dans un espace romanesque ? L’auteur va-t-il le tirer du mauvais pas où il se trouve, ou bien sa dernière heure a-t-elle sonné ?

C’est une évidence, l’auteur joue très habilement avec son lecteur. Et ça fonctionne !

Pas de doute, Laurent Binet réalise là un véritable roman de maître.

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Laurent Binet, 43 ans, a publié HHhH (2010) et Rien ne se passe comme prévu (2012, sur la campagne de François Hollande). Il a été professeur de lettres pendant dix ans dans le secondaire en Seine-Saint-Denis. Il a aussi été chargé de cours à l’université, notamment à Paris-8 (ex-Vincennes), en sémiologie.

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